« La thune, les sapes et l’alcool »
Quand les rappeurs du collectif Qhuit se réunissent, ils pensent plus à s’amuser qu’à répondre sérieusement aux questions qu’on leur pose. Heureusement qu’on est pas du genre à baisser les bras. Et que Gérad Baste était là, aussi.
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Avant de commencer, il semble nécessaire de présenter les principaux acteurs de cette interview. Rhum-G est le boss du collectif Qhuit. Dabaaz est un rappeur, qui à débuté avec le groupe Triptik. Gérard Baste est aussi rappeur. Il a commencé avec les Svinkels et se lance maintenant dans ce qui ressemble à une carrière solo. DJ Géro était aussi présent, mais ses interventions ont étés coupés au montage (« Putain, j’ai perdu mes clopes. T’as pas vu mes clopes? »). MamZ’L et Maviou, qui étaient venus prendre des photos, étaient aussi autour de la table. Mais ils n’ont rien dit. Vincent Desgré, quant à lui, est un jeune journaliste talentueux qui n’a peur de rien. Pas même d’une demie douzaine de type moitié moitié bourré qui se demande qui est ce gamin qui leur pose toute ces questions.
Bonne lecture.
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Ce genre de soirée, où le collectif se réunit, c’est pour vendre des tee-shirts ou passer un bon moment entre pote?
Rhum-G: On est là pour la thune…
Dabaaz: Pour la thune, ouai. C’est un buziness triangulaire. La thune, les sapes et l’alcool.
Rhum-G: Plus sérieusement, comme on a rarement l’occasion de se voir à Paris, parce qu’on travaille tout le temps, on se fait des petits week-end comme ça. On se retrouve en famille quoi.
Baste: Qhuit, effectivement, ça reste une marque de fringues. Mais c’est aussi un prétexte pour faire des trucs. Ça n’a jamais été lancé uniquement comme une marque, ça a été lancé comme un espèce de collectif, un crew.
Rhum-G: C’est un nom qui te permet de faire ce que tu veux.
Les mecs de TTC ont commencés avec vous. On ne les voit jamais dans ce genre de soirées.
Baste: Eux, ils sont avec Sixpack maintenant…
Rhum G: Donc ils font les soirées Sixpack (Rires).
Baste: Non, honnêtement, ça reste la même famille. Entre rappeurs du même délire, un peu « mode », un peu « gol-ri » on se connaît tous. On est genre… Vingt…
Dabaaz: C’est moi le plus à la mode quand même…
Rhum-G: On s’entend tous très bien.
Baste: Tido Berman, il est sur le prochain album de Qhuit. Et je pense qu’un mec comme Teki Latex viendra.
Il y a donc un album en route?
Rhum-G: Oui, il est en cours d’enregistrement. Depuis un an.
Vous repartez sur le même délire que le premier album? Le fameux triangle que Dabaaz évoquait tout à l’heure?
Baste. On a fait le premier album sans y penser réellement. On s’est juste dit: « on part en Bretagne et on verra bien ». On était parti pour enregistrer deux morceaux, finalement on en a enregistrés cinq ou six, on a fait un petit concert et voilà… Aujourd’hui, on va pas relancer ça. Tu vois la différence qu’il y a entre la quatrième et la seconde? Ben je dirais qu’en deux ou trois ans, pas mal de choses ont évolués pareil… On a des emplois du temps plus chargés, certains ont eu des enfants.
Dabaaz: Et y’a le prof d’Histoire-Géo qui nous en met des tonnes et des tonnes… Moi j’ai du mal à porter mon sac à dos…
Baste: On ne veux pas se forcer à recréer les conditions du premier.
Rhum-G: C’était hyper spontanée en fait.
Dabaaz: Cinq ans après, on a beaucoup plus de mal à se réunir. Avant, on avait que ça à foutre. Maintenant, on a tous des femmes et des enfants.
Rhum G: C’était hyper improvisé. On savait pas qu’on allait faire un album. Ça se calcule pas ces trucs là.
Votre consommation d’alcool, elle est stable ou elle diminue avec l’âge?
Dabaaz: Il y a une baisse ouai…
L’alcool, c’est comme le rap en fait. C’est pas toujours facile à assumer quand on vieillit…
Baste: Tout est une question d’élégance. C’est vrai que quand tu fais du rap, t’as pas envie d’être ridicule. Quand tu bois des coups, c’est pareil. C’est marrant de faire le con quand t’as vingt ans, mais si tu deviens le vieux gars pourri, laisse tomber. Je fais souvent une imitation de moi même… Je m’imagine, dans vingt ans, en train de radoter dans un bar: « 400 concerts que j’avais fait »… (Rires). Non, c’est pas le but du jeu. D’une certaine façon, on arrive à se renouveler. Regarde Dabaaz, il y a dix ans, il faisait Triptik avec des petites casquettes et des baggys. Maintenant, c’est un chantre de l’élégance parisienne.
Dabaaz: On m’appelle Tom Ford à Paris.
Le mythe de l’éternel adolescent à plomb dans l’aile alors?
Baste: Non, on est tout aussi immature. Là, on est avant la soirée. On parle des bonnes résolutions, genre on va essayer de se comporter normalement, pas comme des animaux. Mais tout à l’heure, on va être une vieille bande de phacochères tout pourri en train de se doigter entre nous, et voilà…
Est ce que je me trompe sur le constat que le rap n’est pas facile à assumer en vieillissant?
Baste: Le rap, malgré tout, c’est un truc tenu par les vieux. Les grosses stars du rap, ça reste les vieux. Aux états Unis, les Jay Z, les Eminem, les mecs comme ça ont tous 35 ans. En France, le groupe qui rempli le plus de salle, c’est NTM. Finalement, même les jeune ils ont 27 ans! Il a quel age Orelsan, 25 ans? Aux états Unis, ça fait deux ou trois ans qu’il y a de nouveau des jeunes. Les mecs comme Soulja Boy, c’est un phénomène hyper récent.
Vous n’êtes pas atteint du syndrome de Peter Pan alors?
Baste: On fait du rap, on fait des tee-shirts, on s’habille en jeune, bien sur qu’on court après notre jeunesse. On va pas mentir non plus. C’est juste qu’on a encore l’impression de faire partie de cette génération. On ne se pose pas vraiment la question. Ça fait vingt ans qu’on est la dedans. Tu penses pas tellement à autre chose.
Dabaaz: Pour maintenir une situation comme ça, pas du tout figé, pas du tout casé, pour être dans le jus artistiquement, tu maintiens une certaine fragilité. C’est la fragilité de l’adolescence.
Les jeux vidéos, c’est à peu près pareil que le rap sur ce point?
Baste: Je n’ai honte de rien. Du coup, je me permet tout. Les jeux vidéos, j’adore. Mais le problème, ce n’est pas de l’assumer ou pas. C’est juste que t’as pas de vie quand tu y joue.
Rhum G: C’est comme assumer de regarder des dessins animés. Les Simpsons ou South Park, c’est une question de génération. T’as vécu ces dessins animés petits, adolescent et adulte. C’est des choses ou y a plus d’age. Le rap, y’a plus d’âge pour en écouter. Donc y’a pas forcément de complexe à avoir. Les yéyés, c’était un truc de jeunes à l’époque. Maintenant, c’est un truc de vieux.
Dabaaz: Voilà. le rap, c’est un truc de vieux.
Baste: On verra dans vingt ans. On a encore que trente ans, hein.
On parle de rap, d’alcool et de jeux vidéos. Vous êtes blancs et un peu trash. Le lien avec Orelsan paraît évident, non?
Dabaaz: Lui, c’est la province.
Baste: Je vais te donner deux exemples. Aujourd’hui, y’a deux rappeurs émérgeants. Orelsan et Seth Gueko. Gueko, c’est que des références qu’on sort depuis quinze ans avec les Svinkels. Rien à voir avec le délire caillera, mais le délire Lino Ventura, Audiard et compagnie, tout son vocabulaire, c’est ça. Orelsan, finalement, il est sur le créneau de Fuzati. Après, c’est juste la façon de faire. L’emballage, il change peu.
TTC refuse carrément la filiation avec lui.
Baste: Ouai, parce qu’il se fout de leurs gueules. Alors comme c’est des gros aigris, voilà. Mais bon, qu’est ce que t’en a foutre. On fait tous du rap. On fait tous parti de cette culture.
Et vous, la filiation avec Orelsan?
Baste: Orelsan, c’est cool. Franchement, s’il voulait faire un morceau avec Qhuit, pourquoi pas. Ça a même été proposé, en l’occurrence. Mais c’est plutôt lui qui voulait pas…
Vos discours sont parfois similaires, parfois. Notamment le rapport à l’alcool. Je pense notamment à son morceau « Soirées ratés »
Baste: Tu parles de ce qui te concerne. Son délire c’est « soirées ratés », il parle de ce qu’il a envie de parler. Que ce soit Dabaaz, Triptik, Qhuit, les Svinkels et compagnie, on raconte un peu nos modes de vies, de temps en temps en disant des blagues, d’autres moments en étant plus sincère et plus honnête. Au final, l’idée c’est de parler de ce qui te concerne de façon un peu « entertaineuse »… C’est la base du délire rap.
Puisqu’on parle d’Orelsan, on va aborder la polémique, rapidement. Vous avez suivi ce qui s’est dit sur son morceau?
Baste: Sur Sale Pute? C’est juste son meilleur morceau! La polémique, c’est qu’il n’a pas eu les couilles de mettre son meilleur morceau sur son album. Son morceau tue, le clip tue. Le morceau est une espèce de chanson d’amour super triste, d’un mec aigri à cause d’une histoire de meuf. Quand t’as connu les chagrins d’amour, que tu t’ai collés des grosses races et que tu pleures comme un con, sous whisky, en pensant à ton ancienne meuf, bah ouai, tu parles mal. Cette chanson là, c’est une love song. Elle a été mal perçue par des meufs aigris, qui feraient mieux de venir aux soirées Qhuit pour prendre un peu de plaisir! (Rires).
Vous n’avez jamais été victimes de censure?
Baste: Nous, on n’est pas connu. Tout le monde s’en bat la race de ce qu’on fait!
Orelsan n’était pas connu non plus. Les nanas sont allés le chercher sur internet…
Baste: Il était déjà sur une major, avec un peu de promo derrière. D’ailleurs, c’est bien tombé cette histoire là. Tu ferais bien de te poser une question: qui manipule qui? (Rires).
Vos influences et votre univers ne sont pas facile à cerner. Vous vous revendiquez comme étant des rappeurs, mais on ne vous classe pourtant pas toujours dans cette catégorie. Cette question te concerne particulièrement Gérard…
Baste: Le rap, c’est notre musique. Après, on ne se reconnaît pas quand il y a un espèce de morceau fleuve, avec tous les gars du rap français dedans qui disent que c’est positif la life. Dans ces moments là, on est juste content de ne pas être dedans.
Une dernière question. J’aime bien finir en demandant ça. Votre dernier coup de coeur musical?
Baste: J’ai écouté soixante fois l’album de Rick Ross depuis qu’il est sorti. Trop dingue.
Rhum G: J’adore Sébastien Tellier. Mais la grosse unanimité dans le camion, en venant ici, c’est le dernier Booba. Double Poney. Et tu sais que Booba prend de la drogue dur, pour de vrai?
Baste: Putain, ça craint.
Propos recueillis par Vincent Desgré