Touche pas à ma musique

L’article du Monde « Et si le festival oubliait le rap… » est une véritable insulte envers cette musique et son public. Entre ignorance, peur et préjugés, son auteur, Sylvain Siclier, fait écho au mépris général des médias pour le rap. Preuve s’il en faut que le racisme n’a pas le monopole de l’intolérance.





Rocé, Youssoupha, Alonzo, Casey, Féfé et la Sexion d’Assaut se sont relayés sur scène, le mardi 13 Avril, à l’occasion de la soirée d’ouverture du Printemps de Bourges. Une succession de concerts qui n’a visiblement pas convaincu Sylvain Siclier, envoyé spécial du Monde sur le festival, qui publiait dès le lendemain ce papier, visible librement sur le site du quotidien.

Syvlain Siclier s’enfonce dans le mépris et les contradictions dès les premières phrases. Lorsqu’il introduit l’article en sous entendant que le rap n’attire plus le public, il fait parler des chiffres qui n’ont que peu de sens sortis de leur contexte. Qui était programmé « il y a quelques années », lorsque le Palais d’Auron était remplis? Combien n’ont pas eu de tickets cette année faute de place dans les petites salles? Lorsqu’il cloue au pilori Youssoupha ou la Sexion d’Assaut parce que porteurs de « thématiques tellement rabâchées qu’elles ne font plus aucun autre effet que susciter l’ennui » (à savoir les flics, les banlieues, la jeunesse révoltée), il encense quelques lignes plus bas Féfé qui « chante le soleil, la vie, l’amour ». Des thématiques éminemment originales, neuves et inédites, jamais traitées avant, jamais « rabâchées » sous aucune forme artistique que ce soit, on l’aura bien noté. Lorsqu’il parle des « petites frappes venues rouler leurs petites mécaniques », on mesure le fossé qui le sépare du rap et de son public. La froide distance avec laquelle il raconte la scène est éloquente. La question mérite une approche sociologique, pas deux phrases remplies de sarcasme. L’article dans son ensemble fait en fait offense au rap et honte au Monde. Reprendre une à une les nombreuses inepties dont il est parsemé serait long et inutile, d’autant que le propos de Sylvain Siclier est finalement clair et sans concession, bien qu’écrit à demi-mots en une demie-nuit : le rap n’est pas de la musique.

Sylvain Siclier fait partie de cette armée d’ignorants qui jugent le rap sans s’y être jamais réellement intéressés, qui n’en n’ont jamais écouté mais qui continuent de le remettre en question à chaque occasion. Pas assez d’instruments, trop de rage et d’énergie, trop de basses. Ce que Sylvain Siclier reproche au rap, finalement, c’est d’être du rap. À quand un concert de rap avec une batterie, deux guitares, une basse, des choristes et trois chanteurs? À quand un concert de rap sans DJ et sans MC? À quand des paroles chantées sur une mélodie plutôt que scandées sur un tempo? Le rap a ses techniques, son esthétique, son public et son histoire. Le rap a fait ses preuves depuis longtemps. Le rap est créatif, le rap vend, le rap inspire. Le rap existe, simplement. Ne me demandez pas de l’expliquer, ouvrez les yeux et les oreilles.

On entend souvent de la bouche de ceux qui n’en écoutent pas que les bons concerts de rap sont rares. Je dirais, non sans ironie, que les bons concerts de rock ne sont pas légions non plus. Jamais un guitariste ne m’a fait ou ne me fera vibrer. Je ne pense pas pourtant que le rock ne soit pas de la musique. Ce n’est pas ma musique. Le rap n’est pas la musique de Sylvain Siclier, assurément. Son sens critique tend vers le standard du journaliste musical biberonné au rock. Le rap devient « de la vraie musique » quand il y a « de vrais musiciens ». Comme si la définition de la musique épousait celle du rock. Inculte et péremptoire.

Les seules choses que Sylvain Siclier a finalement démontrées avec cet article, c’est son incompétence en tant que critique et son mépris pour une culture qui lui échappe. Il n’est malheureusement pas le seul à cultiver cette distance avec le rap puisque Éric Zemmour, Canal + et plus récemment Coline Serreau, pour ne citer qu’eux, se sont déjà illustrés dans ce même registre. Plus globalement, les médias locaux et nationaux, qui n’en parlent presque que lorsqu’il se transforme en fait divers, ne valent pas beaucoup plus cher. Je me dis parfois que le rap n’a pas besoin d’eux pour exister, que ça ne sert à rien de répondre aux provocations. Et puis je me dis qu’un article comme celui de Sylvain Siclier est intolérable, qu’il est temps de jouir enfin de la crédibilité qui nous est dû et je rédige ce que vous êtes en train de lire. Un coup d’épée dans l’eau ou le début d’une révolte, je ne sais pas encore. Une musique de 30 ans est jeune et vieille à la fois, tout n’est peut-être qu’une question de temps. Il faut se battre ou attendre. Peut-être les deux en même temps. Les sceptiques en arrivent presque à me faire douter.

Sylvain Siclier pose en tout cas la question de la place du rap au Printemps de Bourges là où il faudrait se poser celle de la place du rap tout court. Il passe à côté d’une culture et d’une musique qui berceront très probablement ses enfants (où petits-enfants, j’ignore son âge). Il est le coupable et la victime de sa propre ignorance. Qu’il ne parle plus jamais de rap. Ou alors avec nous.

Vincent Desgré, avec Nicolas de Neef

That's all folks !

C'était Touche pas à ma musique, un contenu de la catégorie "Chronique" et posté le 4/29/10. Merci à Vincent pour le travail.

Bien entendu, il a été question de , , , , , , , , , , , , , . Si ça vous a plu, on en parlait déjà vaguement ici:

  • « Le rap dépasse la musique »
  • « Il faut que chaque parole soit une punchline »